Lundi7 dĂ©cembre Ă 16h00 DĂ©veloppant actuellement, sous la forme de « lâatlas », une recherche tournant autour des rapports entre cinĂ©ma et poĂ©sie dans un contexte politique, Frank Smith
EXTRAITS A la maniĂšre de Goria Il paraĂźt que les Italiens sont de gros mangeurs ! Il paraĂźt que les Italiens sont mordus de pĂątes ! Il paraĂźt que les Italiens sont les pros du cafĂ© ! Il paraĂźt que les Livournais aiment leur passeggiata sur la Terrazza ! Il paraĂźt que les Italiens sont des fĂ©rus de mode ! Il paraĂźt que sous les fondations de la Torre Del Mangia auraient Ă©tĂ© enterrĂ©es des piĂšces de monnaie afin que jamais une tempĂȘte ne frappe Sienne. A la maniĂšre d'un twithaiku Soleil dans les yeux Gelato cioccoriso Voyage Ă Livourne ... C'est midi Ă Lucques La recherche de toilettes DĂ©sespĂ©rĂ©ment ParsemĂ© de bleu C'est un Ă©ventail de cartes Sauce italienne Fulguration - Chiara "La perfection est dans l'imperfection." A la maniĂšre de Guillaume Vissac Et lĂ , soudain, on prend peur, la panique nous envahit, nos muscles se tendent et notre visage se crispe, la peau devient moite et nos jambes dĂ©faillent et si les Italiens ne viennent jamais Ă Brest ? Car renversĂ©, corps discolquĂ©s, mĂ©tĂ©orite Ă Livourne, attentat au Liceo Cecioni, plus d''Italiens ! Mais non, non, ça n'arrivera pas, ça n'arrivera jamais ! Cliquez sur l'onglet carrĂ© du haut pour parcourir le carnet de voyage en plein Ă©cran
Montesquieu Le ciel, le soleil et la mer. Une partie du groupe pour la photo-souvenir d'une belle journĂ©e. Photo DDM F.Ezquerra. Vie locale, Montesquieu. PubliĂ© le 15/09/2016 Ă 03:51 , mis Ă
RĂ©sumĂ©s La MĂ©diterranĂ©e cĂ©lĂ©brĂ©e par Albert Camus, Philippe Sollers et Jean-Daniel Pollet relĂšve dâune interrogation mĂ©taphysique ignorant pour lâessentiel les hommes rĂ©els, le paysage servant de dĂ©cor Ă une reprĂ©sentation de la tangence au monde des individus, sous le mode du tragique et dans le cadre dâune dĂ©marche atemporelle, si bien que cette MĂ©diterranĂ©e dont on proclame quâelle est un foyer de multiples mises en relation, sâavĂšre ĂȘtre exaltĂ©e par ses auteurs et ce cinĂ©aste comme la mer des Grecs, et non pas comme celle des peuples qui en sont les riverains. Une MĂ©diterranĂ©e plus soucieuse des humains et des rapports sociaux dans lesquels ils sont pris innerve lâĆuvre de Jean PĂ©lĂ©gri. The Mediterranean celebrated by Albert Camus, Philippe Sollers and Jean-Daniel Pollet is the result of a metaphysical questioning that essentially ignores real people, the landscape serving as a backdrop for the representation of the tangency of the world of individuals, in the mode of tragedy and within the framework of an atemporal approach, so much so that this Mediterranean, which is proclaimed to be a focus of multiple connections, turns out to be exalted by its authors and this filmmaker as the sea of the Greeks, and not as that of the peoples who live along its shores. A Mediterranean more concerned with humans and the social relationships in which they are caught up permeates Jean PĂ©lĂ©griâs de page EntrĂ©es dâindex Haut de page Texte intĂ©gral Lâimportant, câĂ©taient les hommes. Le paysage, lui, nâen Ă©tait que la parabole ». Jean PĂ©lĂ©gri, Les Oliviers de la justice 1Quand jâai acceptĂ© de participer Ă cet ensemble consacrĂ© Ă la MĂ©diterranĂ©e, jâai immĂ©diatement songĂ© dâune part Ă lâAlgĂ©rie ma trajectoire personnelle, mon itinĂ©raire intellectuel et mon imaginaire me conduisant nĂ©cessairement Ă les associer et dâautre part au film ĂŽ combien fameux et commentĂ© MĂ©diterranĂ©e de Jean-Daniel Pollet, montĂ© Ă partir du texte que Philippe Sollers a Ă©crit pour le cinĂ©aste aprĂšs en avoir vu les rushes obtenus aprĂšs un pĂ©riple de trente-cinq mille kilomĂštres sur le moment, il me semblait envisageable voire fĂ©cond de rĂ©pondre Ă une partie des questions soulevĂ©es par les initiateurs du prĂ©sent projet par une courte contribution rapprochant les Noces 1938-1959 et LâĂtĂ© 1952-1959 dâAlbert Camus de MĂ©diterranĂ©e 1963, je supposais alors quâil me suffirait de tracer comme une diagonale de pensĂ©e entre ces Ćuvres Ă partir dâune vision rimbaldienne de lâĂ©criture, de la crĂ©ation et de lâexistence pour souligner, aprĂšs et avec beaucoup dâautres commentateurs, combien cette mer et son bassin opĂšrent » en tant que lieu dâĂ©change, comme lieu connectĂ© ». 2Un peu de temps sâĂ©tait Ă©coulĂ© lorsque jâai entrepris de relire ou de revoir les productions qui mâĂ©taient apparues en rĂ©sonance avec cet axe de rĂ©flexion et dâinvestigation. Je me suis tout dâabord heurtĂ© aux vues dâĂdouard Glissant qui, en ce domaine, continuent de ne pas emporter ma conviction, parce que la caractĂ©risation de la MĂ©diterranĂ©e en mer intrinsĂšquement continentale me paraĂźt un artifice pour lĂ©gitimer, par contraste voire repoussoir, une argumentation taillant la part belle Ă la CaraĂŻbe 1 Ădouard Glissant, Introduction Ă une poĂ©tique du divers, Paris Gallimard, 2020 [1995], pp. 14-15. Je dis toujours que la mer CaraĂŻbe se diffĂ©rencie de la MĂ©diterranĂ©e en ceci que câest une mer ouverte, une mer qui diffracte, lĂ oĂč la MĂ©diterranĂ©e est une mer qui concentre. Si les civilisations et les grandes religions monothĂ©istes sont nĂ©es autour du bassin mĂ©diterranĂ©en, câest Ă cause de la puissance de cette mer Ă incliner, mĂȘme Ă travers des drames, des guerres et des conflits, la pensĂ©e de lâhomme vers une pensĂ©e de lâUn et de lâunitĂ©. Tandis que la mer CaraĂŻbe est une mer qui diffracte et porte Ă lâĂ©moi de la diversitĂ©. Non seulement est-ce une mer de transit et de passages, câest aussi une mer de rencontres et dâimplications »1. 2 Que savons-nous de la GrĂšce aujourdâhui... Que savons-nous des pieds agiles dâAtalante... Des dis ... 3 Ainsi ce texte de Godard apparaĂźt-il en 4e de couverture du livre-dvd de Yannick Haenel, Dominique ... 3En outre jâai trĂšs vite Ă©prouvĂ© le sentiment que la MĂ©diterranĂ©e cĂ©lĂ©brĂ©e par Camus, Pollet et Sollers relĂšve dâune interrogation mĂ©taphysique ignorant pour lâessentiel les hommes rĂ©els, le paysage servant de dĂ©cor Ă une reprĂ©sentation de la tangence au monde des individus, sous le mode du tragique et dans le cadre dâune dĂ©marche atemporelle, si bien que cette MĂ©diterranĂ©e dont on proclame et pas seulement Ă travers mon » corpus ! quâelle est un creuset, le foyer de multiples mises en relation, sâavĂšre ĂȘtre exaltĂ©e par ces auteurs et ce cinĂ©aste comme la mer des Grecs, et non pas comme celle des peuples qui en sont les riverains ; et mĂȘme sâil arrive quâon convoque lâĂgypte pharaonique, Palmyre, lâItalie et lâEspagne pour lâinscrire dans une certaine profondeur historique ainsi que le fait Pollet, cette conception demeure parente de celle qui discerne dans lâEurope, et dâabord dans sa composante culturelle germanique, une fille » dâAthĂšnes. LâenquĂȘte inhĂ©rente Ă toute Ă©tude critique, en tous les cas celle Ă laquelle je me suis employĂ© ces derniĂšres semaines, mâa en la matiĂšre assez brutalement dĂ©niaisĂ© chez Camus, Ă Tipasa, comme chez Pollet et Sollers, la MĂ©diterranĂ©e revĂȘt les atours dâune mer prĂ©texte Ă un discours relatif Ă lâimmanence du sacrĂ© et Ă la prĂ©sence au monde, hermĂ©tique Ă la rĂ©alitĂ© de lâHistoire et aux peuples qui ont eu pĂątir des rapports de domination quâelle a instaurĂ©s. De ce point de vue, il est intĂ©ressant de situer et de recourir Ă la lecture symptomale le petit article de Jean-Luc Godard dans Les Cahiers du cinĂ©ma2 que la postĂ©ritĂ© a retenu3 en fonction de ce que ce mĂȘme Godard a critiquĂ© de et dans MĂ©diterranĂ©e deux ans plus tard lors dâun entretien accordĂ© Ă la revue CinĂ©thique dans lequel, selon les prĂ©occupations politiques et la langue de lâĂ©poque, et en vertu de ses propres positions idĂ©ologiques, il reproche Ă son confrĂšre de ne pas Ă©chapper Ă la spĂ©culation et dâignorer la lutte des classes » 4 Entretien avec Jean-Luc Godard par Jean-Paul Cassagnac et GĂ©rard Leblanc, CinĂ©thique, nouvelle revu ... [...] il vaudrait mieux que, avant de faire MĂDITERRANĂE, Pollet ait militĂ© trois mois, parce quâaprĂšs, au moment de faire le film, il le ferait autrement. MĂDITERRANĂE ne parlerait pas de la mort de la mĂȘme façon, il parlerait peut-ĂȘtre de la lutte des classes, pas de la mort et du bassin mĂ©diterranĂ©en comme Camus »4. 5 Je fais allusion aux propos de Mao Zedong trĂšs souvent citĂ©s dans les annĂ©es 1960-1970 Pas dâen ... 4Ici, Godard Ă©gratigne Pollet sur le mode Pas dâenquĂȘte, pas de droit Ă la parole », si je puis mâexprimer Ă la façon dont mes aĂźnĂ©s lâauraient formulĂ© en leur temps5... Toutefois, cette raideur, je ne la reprends pas Ă mon compte et, par consĂ©quent, je rectifie il serait en effet vain â et ce serait Ă bien des Ă©gards cĂ©der au plus vulgaire des anachronismes, et de surcroĂźt Ă un idĂ©alisme forcenĂ© â, dâaccuser Pollet de mythification pour une apprĂ©hension du monde occultant les eaux glacĂ©es du calcul Ă©goĂŻste » si Pollet et Sollers versent dans la mĂ©taphysique, comme Camus », câest parce que leur perception de la MĂ©diterranĂ©e est au diapason de tout un courant de pensĂ©e europĂ©en qui, en Allemagne avec Hölderlin pour ne mentionner que lui, et en France avec les orientalistes et les romantiques, aborde cette mer sous le prisme de lâantiquitĂ© grĂ©co-romaine. 6 Cerise Fedini, Les Carnets de voyage au Maroc dâEugĂšne Delacroix en 1832 vers lâexpression artist ... 7 EugĂšne Delacroix, Lettre Ă Auguste Jal », in Cerise Fedini, Les Carnets de voyage au Maroc dâEugĂš ... 5Par dogmatisme, et en lisant toujours vite ou mal Frantz Fanon et Edward W. SaĂŻd, il y en aura toujours pour fustiger cette vilaine propension des Ă©crivains, artistes et penseurs de la vieille Europe Ă peindre les autres en projetant sur eux leurs croyances et leurs prĂ©jugĂ©s. Il se peut, par exemple, que post mortem on morigĂšne le peintre EugĂšne Delacroix qui lors de son voyage au Maroc en 1832 associe dans sa correspondance et ses carnets celles et ceux quâil rencontre Ă la beautĂ© antique »6, stupĂ©fait de constater que Rome nâest plus dans Rome »7, et admirateur dâun peuple quâil pare de toutes les vertus des rois 8 EugĂšne Delacroix, Souvenirs dâun voyage dans le Maroc, in Cerise Fedini, Les Carnets de voyage au M ... [...] ce qui frappe surtout câest lâanalogie frappante avec les usages antiques. Les costumes, la vie habituelle, les maisons. Les chaussures. Semelles Ă©paisses comme les statues des muses. Signe de luxe. Caton vous cire vos bottes, Brutus vous passe votre habit. Lâespion du consulat qui gagnait 20 sous par jour pour sâenquĂ©rir des nouvelles vraies ou fausses qui circulaient par la ville Ă©tait un beau vieillard non pas, je me trompe, le nom de vieillard ne convient pas Ă ce type, il faudrait en inventer un autre. CâĂ©tait Agamemnon, roi des rois »8. 9 Jean PĂ©lĂ©gri, Les Oliviers de la justice in Les Oliviers de la justice & Le Maboul, Marseille, Terr ... 6De Delacroix discernant des Grecs et des Romains partout au Maroc il est bien sĂ»r aisĂ© de se gausser et de le clouer au pilori de lâeuropĂ©ocentrisme et de lâuniversalisme des LumiĂšres. Il est plus dĂ©licat de conspuer Jean PĂ©lĂ©gri quand celui-ci fait appel Ă Virgile et au chalumeau de Tityre pour Ă©voquer les flĂ»tes de son enfance, Ă la ferme de son pĂšre9... 10 Yannick Haenel, Ăclair de MĂ©diterranĂ©e », in Yannick Haenel, Dominique PaĂŻni, Philippe Sollers, J ... 11 Philippe Sollers, MĂ©diterranĂ©e », in Yannick Haenel, Dominique PaĂŻni, Philippe Sollers, Jean-Dani ... 7Les images de Pollet et le texte de Sollers sont aux antipodes du point de vue occidental ordinaire plaçant lâhumain en surplomb par rapport Ă la nature et puisant en elle les ressources dont il a besoin pour subsister, se reproduire, sâassumer ; ils le renversent en une parole oraculaire, orphique aller dans la mort et en revenir »10, proclamant que câest la nature et lâinnombrable cohorte des disparus assis Ă travers les Ăąges sur les gradins de lâHistoire qui contemplent les hommes dans leur extrĂȘme contingence Au vu de toute une foule, calme, invisible »11... La sĂ©quence de Bassae 1964 montrant les nuages pĂ©nĂ©trant le temple dĂ©diĂ© Ă Apollon Epikourios puis le submergeant fait mĂ©taphoriquement Ă©cho dâune part Ă la matiĂšre qui, dans sa trame, est affectĂ©e par un sourd et continuel rĂ©agencement des particules qui la composent et dâautre part Ă cette implacable vĂ©ritĂ© » qui troue les sujets que nous sommes. Yannick Haenel restitue lâefficace de cette parole en ces termes 12 Yannick Haenel, Ăclair de MĂ©diterranĂ©e », in Yannick Haenel, Dominique PaĂŻni, Philippe Sollers, J ... Quant Ă nous, une parole, une parole nous traverse, plus grande que notre voix elle vient de si loin quâil nous semble que nous ne sommes jamais nĂ©s et que nous ne mourrons pas [...] ; mais en nous traversant, en pulvĂ©risant les petites notions qui sâaccrochent en nous, lâidentitĂ©, la propriĂ©tĂ©, et mĂȘme les sentiments, cette parole nous fait entendre au contraire combien le temps et lâespace ne sont pas des conditions extĂ©rieures Ă notre existence, mais ce qui a lieu pour faire exister la parole que nous croyons la nĂŽtre »12. 13 Sollers Ă©crit trĂšs exactement Pays multiples... faussement endormis...». Voir Philippe Sollers, ... 14 Se reporter au livre de Georges Sebbag, Le Point sublime, Breton, Rimbaud, Kaplan, Paris, Jean-Mich ... 8InterrogĂ© en 2018 Ă lâoccasion de la sortie du livre-dvd contenant MĂ©diterranĂ©e et Bassae, Sollers est sans ambiguĂŻtĂ© lâentreprise dont il sâest acquittĂ© avec Pollet visait Ă une approche du sacrĂ© par des voies inattendues ». Dans cette perspective lâespace mĂ©diterranĂ©en un pays multiple faussement endormi13 fonctionne comme un point sensible, nĂ©vralgique â peut-ĂȘtre convient-il Ă ce stade de solliciter le point sublime » cher Ă AndrĂ© Breton, ce lieu mental et gĂ©ographique14 oĂč il est possible de sentir et de ressentir la prĂ©sence rĂ©conciliĂ©e de ce qui, au quotidien se donne comme irrĂ©mĂ©diablement contradictoire â, le foyer et la forge oĂč affleure pour qui sait le repĂ©rer le travail de mort Ă lâĆuvre au sein de tout ce qui est, non pas comme une force antithĂ©tique au vivant mais bien comme la manifestation souveraine de lâirrĂ©pressible et perpĂ©tuel mouvement de lâexistant, Ă©lan que je dĂ©signe parfois du nĂ©ologisme de nĂ©tant 15 Philippe Sollers, MĂ©diterranĂ©e », in Yannick Haenel, Dominique PaĂŻni, Philippe Sollers, Jean-Dani ... Cela continue doncdepuis des milliers dâannĂ©es...On est dans ce travail millĂ©naire... incessantLâune aprĂšs lâautre, les piĂšces du jeusont reprises...Elles seront relancĂ©es... autreset les mĂȘmes... de la mĂȘme façonet diffĂ©remment »15. 16 Jean-Daniel Pollet, MĂ©diterranĂ©e, quatre plans ou sĂ©quences Ă â ; Ă â ; Ă 3 ... 17 Yannick Haenel, Ăclair de MĂ©diterranĂ©e », in Yannick Haenel, Dominique PaĂŻni, Philippe Sollers, J ... 9Toutefois, Ă la diffĂ©rence de celui de Breton, le point sensible de Pollet et de Sollers, lequel est identifiĂ© au temple grec un an aprĂšs MĂ©diterranĂ©e, Pollet donne Bassae un court mĂ©trage de 9 minutes oĂč il filme le sanctuaire dont des images figurent dans le film de 196316, est mobile, il se dĂ©place Ă travers le temps et les territoires, ce que Yannick Haenel a bien observĂ© [...] et câest tout le gĂ©nie de MĂ©diterranĂ©e dâavoir devinĂ© que si dans le monde occidental le temple grec est le site initial dâune telle convergence, celle-ci continue maintenant dâavoir lieu hors de son propre site le site se dĂ©cale Ă travers le temps â il voyage »17. 10Faisant la nique Ă lâĂ©phĂ©mĂšre, au transitoire de lâorganique et du vivant, des accumulations, amoncellements et sĂ©dimentations de souffrances, de violences et dâespoirs trahis, dĂ©faits ou rentrĂ©s, pierres, Ă©boulis, blocs ajointĂ©s, colonnes, frontons, statues, sculptures et bas-reliefs, dalles brisĂ©es ou intactes, sont prĂ©cipitĂ©s et figĂ©s dans une immobilitĂ© de façade 18 Philippe Sollers, MĂ©diterranĂ©e », in Yannick Haenel, Dominique PaĂŻni, Philippe Sollers, Jean-Dani ... Douleur dissimulĂ©e dans des paysagesquâon traverse sans pouvoir les atteindre... »18. 11Ces Ă©lĂ©ments naturels ou architecturaux, tous minĂ©raux, en apparence inertes, les anime au sein de leur structure, dans leur texture mĂȘme, un immĂ©morial va-et-vient conjuguant lâimplacable silence de lâentropie et la grĂące de lâĂ©ternel retour. 19 Philippe Sollers, MĂ©diterranĂ©e », ibid., p. 52. 12Dans ces deux films et ces textes, Pollet et Sollers soutiennent que la mort, loin dâĂȘtre une annihilation, agit comme le ressort, la pompe aspirante et refoulante de ce qui est. Leurs voix passablement prĂ©socratiques sâattĂšlent en accointance avec celles de Nietzsche, de Heidegger et de RenĂ© Char Ă lâĂ©noncĂ© et Ă lâexposĂ© dâun poĂšme » nĂ©gligeant le sort du commun, le social et le politique pour une mĂ©taphysique de lâĂ©blouissement et de lâĂ©clair. Et bien que personne ne puisse plus douter Ă la suite de Paul Ăluard que la terre soit bleue comme une orange, Pollet et Sollers confient Ă une mer blanche »19 de ramener au rivage et Ă la conscience des hommes, sous la blancheur mĂ©tallique dâun ciel inondĂ© de soleil Tandis quâune clartĂ©, un rĂ©veil aveuglantdĂ©borde et recouvre tout en silenceoĂč lâon nâest plus quâun point de plus en plus perduet lointain... ». 13Meursault nâest pas le dernier Ă en avoir pĂąti, de ces cieux de craie lâArabe » de LâĂtranger en est mort... 14De toute Ă©vidence, Pollet et Sollers prolongent Camus en sâen dĂ©marquant nĂ©anmoins lâauteur des Noces et de LâĂtĂ© chante la jeunesse Ă©merveillĂ©e du monde et de qui sait se placer en harmonie avec ses composants, la terre, les nues insondables, la mer tour Ă tour sans une ride et moutonnante dâĂ©cume et de farouches rouleaux 20 Albert Camus, Retour Ă Tipasa », in Noces suivi de LâĂtĂ©, Paris, Gallimard, Folio », n° 16, 201 ... Et, Ă Alger, une seconde fois, marchant encore sous la mĂȘme averse qui me semblait nâavoir pas cessĂ© depuis un dĂ©part que jâavais cru dĂ©finitif, au milieu de cette immense mĂ©lancolie qui sentait la pluie et la mer, malgrĂ© ce ciel de brumes, ces dos fuyants sous lâondĂ©e, ces cafĂ©s dont la lumiĂšre sulfureuse dĂ©composait les visages, je mâobstinais Ă espĂ©rer. Ne savais-je pas dâailleurs que les pluies dâAlger, avec cet air quâelles ont de ne jamais devoir finir, sâarrĂȘtent pourtant en un instant, comme ces riviĂšres de mon pays qui se gonflent en deux heures, dĂ©vastent des hectares et tarissent dâun seul coup ? Un soir, en effet, la pluie sâarrĂȘta. Jâattendis encore une nuit. Une matinĂ©e liquide se leva, Ă©blouissante, sur la mer pure. Du ciel, frais comme un Ćil, lavĂ© et relavĂ© par les eaux, rĂ©duit par ces lessives successives Ă sa trame la plus fine et la plus claire, descendait une lumiĂšre vibrante qui donnait Ă chaque maison, Ă chaque arbre, un dessin sensible, une nouveautĂ© Ă©merveillĂ©e. La terre, au matin du monde, a dĂ» surgir dans une lumiĂšre semblable. Je pris Ă nouveau la route de Tipasa »20. 21 Ibid., p. 162 Dans cette lumiĂšre et ce silence, des annĂ©es de fureur et de nuit fondaient lente ... 22 Ibid., p. 161 [...] toujours le mĂȘme ciel au long des annĂ©es, intarissable de force et de lumiĂš ... 23 Ibid., p. 161 [...] la mĂȘme mer aussi, presque impalpable dans le matin [...] ». 24 Ibid., p. 161 [...] le Chenoua, cette lourde et solide montagne, dĂ©coupĂ©e dans un seul bloc, qu ... 15Ces lignes de Retour Ă Tipasa » et celles qui les suivent, Ă©crites aprĂšs la Seconde Guerre mondiale21, ont valeur de mariage re-contractĂ© avec le ciel22, la mer23 et le Chenoua comme une vague pĂ©trifiĂ©e24 dĂ©crivent lâexpĂ©rience Ă laquelle Camus se livre chaque fois quâil se rend Ă Tipasa 25 Ibid., p. 162. Et sous la lumiĂšre glorieuse de dĂ©cembre, comme il arrive une ou deux fois seulement dans des vies qui, aprĂšs cela, peuvent sâestimer comblĂ©es, je retrouvai exactement ce que jâĂ©tais venu chercher et qui, malgrĂ© le temps et le monde, mâĂ©tait offert, Ă moi seul vraiment, dans cette nature dĂ©serte »25. 26 Ibid., pp. 161-162. 27 Ibid., p. 163. 16Cette expĂ©rience qui lâabstrait des autres, de leur cercle, et lâimmerge dans une nature dĂ©serte » lui dĂ©livre une leçon. Tipasa enseigne Ă Camus les deux soifs quâon ne peut tromper longtemps sans que lâĂȘtre se dessĂšche, [...] aimer et admirer ». Fils du Chenoua26, Camus pressent lâinsurrection qui vient, celle des fils de la Toussaint, ses contemporains ne rĂ©agissant pas au malheur [de] ne point aimer »27 28 Ibid., pp. 163-164. Nous tous, aujourdâhui, mourons de ce malheur. Câest que le sang, les haines dĂ©charnent le cĆur lui-mĂȘme ; la longue revendication de la justice Ă©puise lâamour qui pourtant lui a donnĂ© naissance. Dans la clameur oĂč nous vivons, lâamour est impossible et la justice ne suffit pas. Câest pourquoi lâEurope hait le jour et ne sait quâopposer lâinjustice Ă elle-mĂȘme »28. 17Si lui-mĂȘme ne baisse pas les bras et repart au combat », câest parce quâĂ Tipasa il renoue avec lâĂ©lan lyrique toujours renouvelĂ© dâune jeunesse moins inhĂ©rente Ă la mer quâau ciel et Ă sa lumiĂšre. Ses rĂ©fĂ©rences Ă lâancienne beautĂ© », Ă lâ antique » et au destin » sont explicites 29 Ibid., p. 164. Je retrouvais ici lâancienne beautĂ©, un ciel jeune, et je mesurais ma chance, comprenant enfin que dans les pires annĂ©es de notre folie le souvenir de ce ciel ne mâavait jamais quittĂ©. CâĂ©tait lui qui pour finir mâavait empĂȘchĂ© de dĂ©sespĂ©rer. Jâavais toujours su que les ruines de Tipasa Ă©taient plus jeunes que nos chantiers ou nos dĂ©combres. Le monde y recommençait tous les jours dans une lumiĂšre toujours neuve. Ă lumiĂšre ! câest le cri de tous les personnages placĂ©s, dans le drame antique, devant leur destin. Ce recours dernier Ă©tait aussi le nĂŽtre et je le savais maintenant. Au milieu de lâhiver, jâapprenais enfin quâil y avait en moi un Ă©tĂ© invincible »29. 18La chaĂźne sĂ©mique suggĂšre la posture dâun hĂ©ros, jamais vaincu par lâadversitĂ©, y compris le destin » sa victoire rĂ©sulte de sa communion avec le monde, lequel manifeste le sacrĂ© par la lumiĂšre et le silence dâun instant suspendu, comme une note soudainement tenue qui commande aux autres instruments de lâorchestre de sâarrĂȘter, avant de reprendre leur polyphonique concert 30 Ibid., pp. 162-163. Du cĂŽtĂ© des ruines, aussi loin que la vue pouvait porter, on ne voyait que des pierres grĂȘlĂ©es et des absinthes, des arbres et des colonnes parfaites dans la transparence de lâair cristallin. Il semblait que la matinĂ©e se fĂ»t fixĂ©e, le soleil arrĂȘtĂ© pour un instant incalculable. Dans cette lumiĂšre et ce silence, des annĂ©es de fureur et de nuit fondaient lentement. JâĂ©coutais en moi un bruit presque oubliĂ©, comme si mon cĆur, arrĂȘtĂ© depuis longtemps, se remettait doucement Ă battre. Et maintenant Ă©veillĂ©, je reconnaissais un Ă un les bruits imperceptibles dont Ă©tait fait le silence la basse continue des oiseaux, les soupirs lĂ©gers et brefs de la mer au pied des rochers, la vibration des arbres, le chant aveugle des colonnes, les froissements des absinthes, les lĂ©zards furtifs. Jâentendais cela, jâĂ©coutais aussi les flots heureux qui montaient en moi. Il me semblait que jâĂ©tais enfin revenu au port, pour un instant au moins, et que cet instant dĂ©sormais nâen finirait plus. Mais peu aprĂšs le soleil monta visiblement dâun degrĂ© dans le ciel. Un merle prĂ©luda briĂšvement et aussitĂŽt, de toutes parts, des chants dâoiseaux explosĂšrent avec une force, une jubilation, une joyeuse discordance, un ravissement infini. La journĂ©e se remit en marche »30. 19Camus, dernier des Grecs ou peu sâen faut, sait oĂč le kairos peut se prĂ©senter Ă lui Ă Tipasa, aux alentours du Cardo Maximus... Son alignement Ă la semblance de celui des manipules des lĂ©gions romaines dans le prolongement dâune mer dont on ne sait sâil y plonge ou sâil en sort tend Ă occulter la fondation phĂ©nicienne de la ville dont le nom pourrait bien signifier lieu de passage », escale », les ports ayant vocation Ă relier et Ă mettre en contact.... Ce recouvrement des traces est frappant dans toute la rĂ©gion depuis la CĂ©sarĂ©e de MaurĂ©tanie Caesarea, Cherchell, pĂŽle de diffusion de lâhellĂ©nisme mais Ă lâorigine comptoir lui aussi phĂ©nicien Iol ou Jol, jusquâau Tombeau de la ChrĂ©tienne, en lâoccurrence un mausolĂ©e royal vraisemblablement Ă©rigĂ© par le prince numide Juba II, victime pour sa dĂ©nomination dâune double erreur, puisque la traduction de lâarabe au français a fait dâune Romaine Qabr al-RĂ»miyya, tombeau de la romaine une ChrĂ©tienne... Ce nâest pas faire injure Ă Camus que de souligner quâil parle dans et Ă partir de la langue et de la culture de son temps, lesquelles dâune part reposent sur les humanitĂ©s et dâautre part en AlgĂ©rie alignent symboliquement lâentreprise coloniale française sur un prestigieux passĂ© grĂ©co-romain en tĂ©moigne LambĂšse-Tazoult â camp de la LĂ©gion Augusta puis colonie romaine dont les ruines ont Ă©tĂ© fouillĂ©es en 1848 sous la direction du colonel du 2e RĂ©giment de la LĂ©gion Ă©trangĂšre tandis que la municipalitĂ© abritait un bagne terrible â aujourdâhui un pĂ©nitencier aux conditions de dĂ©tention des plus sĂ©vĂšres. Faute de se dĂ©tacher suffisamment de ce socle il conteste lâinjustice au nom dâun humanisme philosophique classique » ; il ne tente pas de minorer » le français, Camus, le transfuge de classe de Belcourt, Ă©crit pour le champ littĂ©raire français et non pour le peuple algĂ©rien qui manque... 20Mâinspirant dâune remarque de Jean-Luc Godard dans ses Histoires du cinĂ©ma, au sujet du travail de plusieurs cinĂ©astes quâil admire et qui ont toujours sĂ©parĂ© la captation des images de la prise du son â remarque que je vais gauchir â, je juge quâil nâest pas insensĂ© de considĂ©rer que la langue de ParmĂ©nide et celle de Virgile parlent » dans les images de Pollet et dans les textes de Camus et de Sollers. Noces fournit le matĂ©riau indispensable pour Ă©tayer cette thĂšse 31 Albert Camus, Noces Ă Tipasa », in Noces suivi de LâĂtĂ©, op. cit. , p. 11. Au printemps, Tipasa est habitĂ©e par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et lâodeur des absinthes, la mer cuirassĂ©e dâargent, le ciel bleu Ă©cru, les ruines couvertes de fleurs et la lumiĂšre Ă gros bouillons dans les amas de pierres »31. 21La description met lâaccent sur la nature lumiĂšre et couleurs, odeurs aussi. Le village » est localisĂ© par rapport au Chenoua et Ă la mer ; ses habitants sont moins que des ombres, ce sont des absents, seuls les bouchers, des commerçants ambulants sont convoquĂ©s, ils cornent pour prĂ©venir ces invisibles de leur prĂ©sence 32 Ibid., p. 12. Ă lâheure oĂč nous descendons de lâautobus couleur de bouton dâor, les bouchers dans leurs voitures rouges font leur tournĂ©e matinale et les sonneries de leurs trompettes appellent les habitants »32. 33 Ibid., p. 11 Nous entrons dans un monde jaune et bleu oĂč nous accueille le soupir odorant et Ăąc ... 22Une terre oĂč la plupart des humains semble se dĂ©rober Ă la vue de lâĂ©crivain qui soupire33. Il est intĂ©ressant que Camus fasse de son arrivĂ©e Ă Tipasa une entrĂ©e en scĂšne la topologie des collines et de la ville connote le théùtre et les lecteurs sont enclins Ă mobiliser des images de théùtres antiques, depuis les gradins imaginaires oĂč ils sont juchĂ©s par la lecture 34 Ibid., p. 12. Ă gauche du port, un escalier de pierres sĂšches mĂšne aux ruines, parmi les lentisques et les genĂȘts. Le chemin passe devant un petit phare pour plonger ensuite en pleine campagne. DĂ©jĂ , au pied de ce phare, de grosses plantes grasses aux fleurs violettes, jaunes et rouges, descendent vers les premiers rochers que la mer suce avec un bruit de baisers. Debout dans le vent lĂ©ger, sous le soleil qui nous chauffe un seul cĂŽtĂ© du visage, nous regardons la lumiĂšre descendre du ciel, la mer sans une ride, et le sourire de ses dents Ă©clatantes. Avant dâentrer dans le royaume des ruines, pour la derniĂšre fois nous sommes spectateurs »34. 35 Pendant la rĂ©daction de cette contribution, jâai associĂ© ces lignes aux sĂ©quences de MĂ©diterranĂ©e Ă© ... 23Lâemploi des verbes descendre » deux fois et plonger » et du substantif spectateurs » sur lequel se clĂŽt le paragraphe accentue cette impression dâune nature et dâun espace social rĂ©unis en une majestueuse arĂšne formĂ©e par le Chenoua et la MĂ©diterranĂ©e35, avec pour Ă©picentre les vestiges de la citĂ© jadis florissante et aujourdâhui prise dans un insensible mais irrĂ©pressible mouvement de retour au monde brut » et Ă©lĂ©mentaire », comme la dĂ©monstration rigoureuse et pratique que les productions humaines ne sont que des accidents 36 Albert Camus, Noces Ă Tipasa », in Noces suivi de LâĂtĂ©, op. cit., p. 13. Ici, je laisse Ă dâautres lâordre et la mesure. Câest le grand libertinage de la nature et de la mer qui mâaccapare tout entier. Dans ce mariage des ruines et du printemps, les ruines sont redevenues pierres, et perdant le poli imposĂ© par lâhomme, sont rentrĂ©es dans la nature. Pour le retour de ces filles prodigues, la nature a prodiguĂ© des fleurs. Entre les dalles du forum, lâhĂ©liotrope pousse sa tĂȘte ronde et blanche, et les gĂ©raniums rouges versent leur sang sur ce qui fut maisons, temples et places publiques. Comme ces hommes que beaucoup de science ramĂšne Ă Dieu, beaucoup dâannĂ©es ont ramenĂ© les ruines Ă la maison de leur mĂšre »36. 24Comme Pollet, Sollers pour MĂ©diterranĂ©e et Alexandre Astruc câest lui qui est lâauteur du texte dit par Jean NĂ©groni dans Bassae, Camus estime quâune forge » secrĂšte affecte au-dedans jusquâĂ la moindre des particules 37 Ibid., p. 13. Aujourdâhui enfin leur passĂ© les quitte, et rien ne les distrait de cette force profonde qui les ramĂšne au centre des choses qui tombent »37. 25Si pour les premiers, la cause de cette inĂ©luctable mĂ©tamorphose, variations en continu de la matiĂšre, nâest autre que le temps pour moi, ce serait la durĂ©e, Camus proclame crĂąnement que câest lâamour et le dĂ©sir, et leur intensitĂ©, qui en est le puissant carburant 38 Ibid., p. 13. Nous marchons Ă la rencontre de lâamour et du dĂ©sir. Nous ne cherchons pas de leçons, ni lâamĂšre philosophie quâon demande Ă la grandeur. Hors du soleil, des baisers et des parfums sauvages, tout nous paraĂźt futile »38. 39 Jean PĂ©lĂ©gri, Les Oliviers de la justice in Les Oliviers de la justice & Le Maboul, op. cit., p. 95 ... 40 Albert Camus, Noces Ă Tipasa », in Noces suivi de LâĂtĂ©, op. cit., p. 15 Bien pauvres sont ce ... 41 Ibid., p. 15 Ici les dieux servent de lits ou de repĂšres dans la course des journĂ©es. [...] Et ... 26Prenant un peu la pose Camus est jeune lorsquâil Ă©crit ces pages, il approche Ă peine de ses vingt-cinq ans ; et, par ailleurs, il sacrifie aussi Ă la faconde algĂ©rienne, commune Ă toutes les communautĂ©s de ce beau pays, et dont Jean PĂ©lĂ©gri â et pas seulement lui ! â a dĂ©gagĂ© les traits saillants39, lâĂ©crivain dĂ©fie ses contemporains, rejette les mythes40, sâaffranchit de la reprĂ©sentation des dieux41 et sâexprime en hĂ©ros, câest-Ă -dire en demi-dieu, sa revendication dâembrasser le monde trahissant un brin de dĂ©mesure, dâhybris, et dâorgueil, mĂȘme sâil admet sa radicale extĂ©rioritĂ© Ă cette nature quâil voudrait rejoindre et dans laquelle il dĂ©sirerait se fondre 42 Ibid., p. 15. Aux mystĂšres dâĂleusis, il suffisait de contempler. Ici mĂȘme, je sais que jamais je ne mâapprocherai assez du monde. Il me faut ĂȘtre nu et puis plonger dans la mer, encore tout parfumĂ© des essences de la terre, laver celles-ci dans celle-lĂ , et nouer sur ma peau lâĂ©treinte pour laquelle soupirent lĂšvres Ă lĂšvres depuis si longtemps la terre et la mer »42. 43 Ibid., p. 16. 44 Ibid., p. 16. 27Câest au moment du bain que le miracle se produit, cette possession tumultueuse de lâonde par [s]es jambes â et lâabsence dâhorizon »43, le narrateur sâest en partie dĂ©livrĂ© de [s]a pesanteur de chair et dâos »44. 45 Jâai en tĂȘte la note de lâĂ©diteur » qui accompagne Noces RĂ©imprimĂ©s aujourdâhui, ces premiers ... 46 On peut se reporter Ă la scĂšne oĂč Marie Cardona et Meursault nagent dans la passe du port Albert ... 47 Se reporter Ă Yannick Haenel, Ăclair de MĂ©diterranĂ©e », op. cit., pp. 12-13 VoilĂ , je regarde ... 48 Jean PĂ©lĂ©gri, Les Oliviers de la justice in Les Oliviers de la justice & Le Maboul, op. cit., p. 20 ... 49 Ibid., p. 205 Dans ce mĂȘme groupe, un jeune Arabe dâune quinzaine dâannĂ©es, plus noir que les a ... 28En lâespĂšce au moins trois rapprochements sâimposent afin de donner de la consistance Ă mon exploration du texte de Camus la jubilation avouĂ©e dans cet essai »45 a pour pendant romanesque la scĂšne de la baignade dans le port dâAlger de Marie et de Meursault, dans LâĂtranger46 ; la joie et le bonheur qui se dĂ©gagent de ces sĂ©quences » entretiennent, selon moi, une parentĂ© avec lâĂ©rotisme attachĂ© Ă la jeune fille filmĂ©e par Pollet dans MĂ©diterranĂ©e47 ; la noblesse et la dĂ©licatesse du jeune Arabe dâune quinzaine dâannĂ©es » portraiturĂ© dans Les Oliviers de la justice, quand [d]e jeunes baigneurs, arabes et europĂ©ens mĂȘlĂ©s, jou[ent], cri[ent], se bouscul[ent] » sur la jetĂ©e, sous lâĆil mĂ©content des pĂȘcheurs », promesse dâune communautĂ© mi-arabe mi-française »48 qui, selon le romancier, Ă©tait en train de naĂźtre, la rĂ©fĂ©rence grecque surgissant significativement sous la plume de Jean PĂ©lĂ©gri49. Ce faisceau dâindices me souffle Ă lâoreille que le peuple algĂ©rien qui manque dans lâHistoire et celui qui a fait rĂȘver et Ă©crire PĂ©lĂ©gri et Camus, est reprĂ©sentĂ© dans leurs livres, indĂ©pendamment des intentions de chacun, et Ă des degrĂ©s divers, de maniĂšre plus consĂ©quente chez PĂ©lĂ©gri, de façon plus ambiguĂ« chez Camus, lors dâune baignade en MĂ©diterranĂ©e Marie et ce jeune AlgĂ©rien Ă©tant les messagers dâun peuple de naĂŻades et de faunes, gĂ©nies tous deux dâun futur qui exigeait la rencontre du littoral et de la montagne. 50 Jean PĂ©lĂ©gri, Le Maboul, in Les Oliviers de la justice & Le Maboul, op. cit., p. 424. 51 On peut se reporter Ă ces brĂšves remarques de PĂ©lĂ©gri Ă propos de Camus Jean PĂ©lĂ©gri Ă propos d ... 52 Jean PĂ©lĂ©gri, Les Oliviers de la justice, in Les Oliviers de la justice & Le Maboul, op. cit., p. 1 ... 29Cette distinction entre le rivage et lâarriĂšre-pays, dâun cĂŽtĂ© les ports, la plage de Sidi-Ferruch par oĂč la colonisation a dĂ©butĂ© en 1830, la plaine et les villes, et de lâautre les mechtas et la Grande Pierre avec la lune qui sort et le gros nuage blanc qui passe »50, je la dois Ă Jean PĂ©lĂ©gri en particulier dans Le Maboul chez qui le paysage est, Ă lâinverse de chez Camus, peuplĂ© et, surtout, sismographe » des rapports sociaux dans lesquels en un temps T les humains sont pris51. Son AlgĂ©rie natale est une terre irriguĂ©e par la gĂ©nĂ©rositĂ©, dans la sueur et le labeur, avec comme liant une spiritualitĂ© syncrĂ©tique puisant dans lâislam et les traditions berbĂšres, et lâimpĂŽt du sang consenti sur les pentes de Monte Cassino et pendant toute la campagne dâItalie, de sorte que cette communautĂ© de frĂšres52 Ă©tait sur le point de faire peuple, de prendre souche pour reprendre lâimage vĂ©gĂ©tale â avec celle de la greffe â qui lui est chĂšre. HĂ©las les fils, de part et dâautre, ont dilapidĂ© lâhĂ©ritage de leurs pĂšres... PĂ©lĂ©gri a-t-il raison ou tort ? Cela mâest presquâĂ©gal la littĂ©rature nâest pas le lieu de la vĂ©ritĂ© mais celui de la justesse, or il mâapparaĂźt que pour dire les hommes et les femmes dâAlgĂ©rie la langue de PĂ©lĂ©gri est frĂ©quemment juste. Mon interprĂ©tation des deux livres de lui que je connais mâamĂšne Ă cette conclusion le peuple algĂ©rien qui manque, celui qui aurait pu rĂ©parer lâinjustice initiale et toutes les autres qui en ont dĂ©coulĂ©, avait pour feuille de route de marier le djebel, les fermes et les citĂ©s, cela nâa pas Ă©tĂ© possible, cet avenir historiquement avortĂ© est littĂ©rairement prĂ©figurĂ© sur un coin de jetĂ©e, Ă Alger, quand un gamin tout en blaguant trace la voie que les hommes rĂ©els nâont pas durablement ouverte, celle de la mer. 53 Jâemprunte ce mot Ă Patrick Chamoiseau. 30Le bruit et la fureur de lâHistoire ne gagnent rien Ă ĂȘtre drapĂ©s dans une geste rimbaldienne qui permet aux petits-bourgeois dont je suis depuis que lâenfant de Bab el-Oued a accĂ©dĂ© Ă lâuniversitĂ© de parader en sociĂ©tĂ© sans essayer de savoir ce que lâhomme aux semelles de vent a trouvĂ© Ă Aden. Paul Nizan que jâai beaucoup lu, ma vie durant, y a dĂ©couvert homo economicus et il en a dĂ©duit que la fuite ne servait Ă rien. Qui suis-je pour mâaventurer Ă distribuer des brevets dâ expertise » en MĂ©diterranĂ©e aux Ă©crivains et aux artistes qui mâaident Ă parcourir mon temps ? Je les ai lus et frĂ©quentĂ©s » Ă vingt ans, je relis et rĂ©flĂ©chis Ă ces Ćuvres Ă soixante-cinq ans, en poursuivant mon exploration de la bibliothĂšque, du musĂ©e et de la cinĂ©mathĂšque ; dans cette sentimenthĂšque53 que jâarpente avec mĂ©lancolie, je dĂ©crypte en creux et parfois en pleine et totale ressemblance des attitudes et des conceptions que jâai eues dans le passĂ© ou dont je ne me suis toujours pas dĂ©barrassĂ©. Mon parcours mĂ©diterranĂ©en nâa Ă©tĂ© ni une odyssĂ©e ni une anabase, il mâa simplement appris, et câest Ă©norme, que les plus Ă©rudits, les plus sages, les plus perspicaces des humains ne sont que des sujets supposĂ©s savoir... Il ne me semble pas dĂ©placĂ© dâaffirmer que cet enseignement je le tiens dâune MĂ©diterranĂ©e connectĂ©e » donc propice Ă la relation. Ayant visitĂ© Tipasa Ă lâĂąge oĂč Camus rĂ©digeait Noces, avec son livre Ă la main, dans la vigueur et lâinsolence de la jeunesse, je serais ingrat et opportuniste, salement malhonnĂȘte, si aujourdâhui je contenais mon Ă©motion pour des motifs idĂ©ologiques et feignais que ces lignes ne me font plus rien 54 Albert Camus, Noces Ă Tipasa », in Noces suivi de LâĂtĂ©, op. cit., p. 21. Ă prĂ©sent du moins, lâincessante Ă©closion des vagues sur le sable me parvenait Ă travers tout un espace oĂč dansait un pollen dorĂ©. Mer, campagne, silence, parfums de cette terre, je mâemplissais dâune vie odorante et je mordais dans le fruit dĂ©jĂ dorĂ© du monde, bouleversĂ© de sentir son jus sucrĂ© et fort couler le long de mes lĂšvres. Non, ce nâĂ©tait pas moi qui comptais, ni le monde, mais seulement lâaccord et le silence qui de lui Ă moi faisait naĂźtre lâamour. Amour que je nâavais pas la faiblesse de revendiquer pour moi seul, conscient et orgueilleux de le partager avec toute une race, nĂ©e du soleil et de la mer, vivante et savoureuse, qui puise sa grandeur dans sa simplicitĂ© et debout sur les plages, adresse son sourire complice au sourire Ă©clatant de ses ciels »54. 31De mĂȘme que Les Oliviers de la justice dont je nâavais pas tournĂ© une seule page jusquâĂ leur réédition rĂ©cente mâarrachent des larmes, parce quâils ressuscitent des bribes de mon enfance, au sein dâune famille maternelle pas du tout instruite sinon illettrĂ©e, Ă©voluant dans les parages de la pĂšgre, des mauvais garçons et des filles perdues, Noces et LâĂtĂ© me bouleversent, tout autant que MĂ©diterranĂ©e, cette traque philosophique du sacrĂ© menĂ©e par Pollet et Sollers, parce que ces essais, ces romans et ce film cultivent chez moi la nostalgie de lâ Ă©tĂ© invincible » qui, dans ma chair, sâen va. Haut de page Bibliographie Albert Camus, LâĂtranger, Paris, Gallimard, Folio », n° 2, 1990 [1942]. Albert Camus, Retour Ă Tipasa », in Noces suivi de LâĂtĂ©, Paris, Gallimard, Folio », n° 16, 2013 [1959]. Cerise Fedini, Les Carnets de voyage au Maroc dâEugĂšne Delacroix en 1832 vers lâexpression artistique Ă lâĂ©preuve du rĂ©el interprĂ©tĂ© en images et en Ă©crits, op. cit., p. 21 [en ligne], URL [consultĂ© le 5 mars 2021]. Ădouard Glissant, Introduction Ă une poĂ©tique du divers, Paris, Gallimard, 2020 [1995]. Entretien avec Jean-Luc Godard par Jean-Paul Cassagnac et GĂ©rard Leblanc, CinĂ©thique, nouvelle revue du cinĂ©ma nouveau, n° 1, 20 janvier 1969, p. 11, in [en ligne], Un cinĂ©aste comme les autres », URL [consultĂ© le 5 mars 2021]. Jean-Luc Godard, Les Cahiers du cinĂ©ma, n° 187, fĂ©vrier 1967, in [en ligne], Impressions anciennes », URL [consultĂ© le 5 mars 2021]. Yannick Haenel, Dominique PaĂŻni, Philippe Sollers, Jean-Daniel Pollet, MĂ©diterranĂ©e/Bassae, Montreuil, La Traverse/Ăditions de lâĆil, 2018. Jean PĂ©lĂ©gri, Les Oliviers de la justice & Le Maboul, Marseille, Terrasses Ăditions, 2020. Alexandre Astruc, Bassae », in LaBrasserienoireediteur, [en ligne], 6 juillet 2020, URL [consultĂ© le 4 mars 2021]. Fabien Ribery, Jean-Daniel Pollet cinĂ©aste prĂ©socratique, par Yannick Haenel, Dominique PaĂŻni et Philippe Sollers », in LâIntervalle, le blog de Fabien Ribery, [en ligne], 10 octobre 2018, URL [consultĂ© le 4 mars 2021]. Haut de page Notes 1 Ădouard Glissant, Introduction Ă une poĂ©tique du divers, Paris Gallimard, 2020 [1995], pp. 14-15. 2 Que savons-nous de la GrĂšce aujourdâhui... Que savons-nous des pieds agiles dâAtalante... Des discours de PĂ©riclĂšs... Ă quoi pensait Timon dâAthĂšnes en grimpant au forum... Et cet Ă©colier de Sparte pendant que le renard mangeait son ventre. Ălargissons le dĂ©bat... Que savons-nous de nous-mĂȘmes, hormis que nous sommes nĂ©s lĂ il y a des milliers dâannĂ©es... Que savons-nous donc de cette minute superbe oĂč quelques hommes, comment dire, au lieu de ramener le monde Ă eux comme un quelconque Darius ou Gengis Khan, se sont sentis solidaires de lui, solidaires de la lumiĂšre non pas envoyĂ©e par les dieux mais rĂ©flĂ©chie par eux, solidaires du soleil, solidaires de la mer... De cet instant Ă la fois dĂ©cisif et naturel, le film de Jean-Daniel Pollet nous livre sinon le trousseau complet, du moins les clĂ©s les plus importantes... Les plus fragiles aussi... Dans cette banale sĂ©rie dâimages en 16 sur lesquelles souffle lâextraordinaire esprit du 70, Ă nous maintenant de savoir trouver lâespace que seul le cinĂ©ma sait transformer en temps perdu... Ou plutĂŽt le contraire... Car voici des plans lisses et ronds abandonnĂ©s sur lâĂ©cran comme un galet sur le rivage... Puis, comme une vague, chaque collure vient y imprimer et effacer le mot souvenir, le mot bonheur, le mot femme, le mot ciel... La mort aussi puisque Pollet, plus courageux quâOrphĂ©e, sâest retournĂ© plusieurs fois sur cet Angel Face dans lâhĂŽpital de je ne sais quel Damas... », Jean-Luc Godard, Les Cahiers du cinĂ©ma, n° 187, fĂ©vrier 1967. In [en ligne], Impressions anciennes », URL [consultĂ© le 5 mars 2021]. 3 Ainsi ce texte de Godard apparaĂźt-il en 4e de couverture du livre-dvd de Yannick Haenel, Dominique PaĂŻni, Philippe Sollers, Jean-Daniel Pollet, MĂ©diterranĂ©e/Bassae, Montreuil, La Traverse/Ăditions de lâĆil, 2018. 4 Entretien avec Jean-Luc Godard par Jean-Paul Cassagnac et GĂ©rard Leblanc, CinĂ©thique, nouvelle revue du cinĂ©ma nouveau, n° 1, 20 janvier 1969, p. 11, in [en ligne], Un cinĂ©aste comme les autres », URL [consultĂ© le 5 mars 2021]. 5 Je fais allusion aux propos de Mao Zedong trĂšs souvent citĂ©s dans les annĂ©es 1960-1970 Pas dâenquĂȘte, pas de droit Ă la parole. Vous nâavez pas fait dâenquĂȘte sur un problĂšme, et on vous prive du droit dâen parler. Est-ce trop brutal ? Non, pas du tout. Du moment que vous ignorez le fond du problĂšme, faute de vous ĂȘtre enquis de son Ă©tat actuel et de son historique, vous nâen sauriez dire que des sottises. Et les sottises, chacun le sait, ne sont pas faites pour rĂ©soudre les problĂšmes », Contre le culte des livres, 1930. On peut se reporter Ă Emmanuel Renault, Qui nâa pas fait dâenquĂȘte nâa pas droit Ă la parole ? », in [en ligne], Impressions anciennes », URL [consultĂ© le 6 mars 2021]. 6 Cerise Fedini, Les Carnets de voyage au Maroc dâEugĂšne Delacroix en 1832 vers lâexpression artistique Ă lâĂ©preuve du rĂ©el interprĂ©tĂ© en images et en Ă©crits, DiplĂŽme de Master, UniversitĂ© LumiĂšre Lyon 2 / ENSSIB, 2016, p. 18 [en ligne], URL [consultĂ© le 5 mars 2021]. 7 EugĂšne Delacroix, Lettre Ă Auguste Jal », in Cerise Fedini, Les Carnets de voyage au Maroc dâEugĂšne Delacroix en 1832 vers lâexpression artistique Ă lâĂ©preuve du rĂ©el interprĂ©tĂ© en images et en Ă©crits, op. cit., p. 22] Vous avez vu Alger, et vous pouvez vous faire une idĂ©e de la nature de ces contrĂ©es. Il y a ici quelque chose de plus simple encore et de plus primitif il y a moins dâalliage turc ; les Romains et les Grecs sont lĂ Ă ma porte jâai bien ri des Grecs de David, Ă part, bien entendu, sa sublime brosse. Je les connais Ă prĂ©sent ; les marbres sont la vĂ©ritĂ© mĂȘme, mais il faut savoir y lire, et nos pauvres modernes nây ont vu que des hiĂ©roglyphes. Si lâĂ©cole de peinture persiste Ă proposer toujours pour sujets aux jeunes nourrissons des muses Ă la famille de Prima et dâAtrĂ©e, je suis convaincu, et vous serez de mon avis, quâil vaudrait pour eux infiniment davantage ĂȘtre envoyĂ©s comme mousses en Barbarie par le premier vaisseau, que de fatiguer plus longtemps la terre classique de Rome. Rome nâest plus dans Rome ». 8 EugĂšne Delacroix, Souvenirs dâun voyage dans le Maroc, in Cerise Fedini, Les Carnets de voyage au Maroc dâEugĂšne Delacroix en 1832 vers lâexpression artistique Ă lâĂ©preuve du rĂ©el interprĂ©tĂ© en images et en Ă©crits, op. cit., p. 21. 9 Jean PĂ©lĂ©gri, Les Oliviers de la justice in Les Oliviers de la justice & Le Maboul, Marseille, Terrasses Ăditions, 2020, p. 41 Alors, en lâĂ©coutant, je me suis souvenu des flĂ»tes entendues Ă la ferme celle qui montait des blĂ©s par les torrides aprĂšs-midis dâĂ©tĂ©, semant des grains dans la lumiĂšre ; celles des vendangeurs qui par les nuits Ă©toilĂ©es de septembre chantaient du cĂŽtĂ© de la cave, dans un lointain de rĂȘve. Toujours ceux qui en jouaient restaient invisibles, comme au Bou-Zegza. Tous, sauf Krim. Lui, il sâasseyait au crĂ©puscule au pied dâun figuier, prĂšs de lâĂ©curie, et quand il jouait, câĂ©tait avec gaietĂ©, avec une sorte dâinsolence. Les autres se cachaient, comme pour lâamour, et la musique semblait naĂźtre du paysage. Pourquoi ne les avais-je pas Ă©coutĂ©s avec plus dâattention â moi qui devais prendre tant de plaisir, plus tard, Ă traduire lâhistoire de Tityre, jouant sur son chalumeau des airs champĂȘtres, Ă lâabri dâun hĂȘtre touffu ? Oui, pourquoi ? Peut-ĂȘtre mâauraient-ils appris Ă dĂ©couvrir, eux aussi, comme Embarek, et comme Virgile, ce quelque chose dâessentiel sans quoi notre bonheur Ă tous ne pouvait ĂȘtre possible⊠». 10 Yannick Haenel, Ăclair de MĂ©diterranĂ©e », in Yannick Haenel, Dominique PaĂŻni, Philippe Sollers, Jean-Daniel Pollet, MĂ©diterranĂ©e/Bassae, op. cit. p. 7 11 Philippe Sollers, MĂ©diterranĂ©e », in Yannick Haenel, Dominique PaĂŻni, Philippe Sollers, Jean-Daniel Pollet, MĂ©diterranĂ©e/Bassae, op. cit., p. 53. Par ailleurs, se reporter au film MĂ©diterranĂ©e de Jean-Daniel Pollet et aux plans et sĂ©quences qui se trouvent Ă â 17. 48 ; Ă â ; Ă â ; Ă â ; et Ă â 12 Yannick Haenel, Ăclair de MĂ©diterranĂ©e », in Yannick Haenel, Dominique PaĂŻni, Philippe Sollers, Jean-Daniel Pollet, MĂ©diterranĂ©e/Bassae, op. cit., pp. 6-7. 13 Sollers Ă©crit trĂšs exactement Pays multiples... faussement endormis...». Voir Philippe Sollers, MĂ©diterranĂ©e », in Yannick Haenel, Dominique PaĂŻni, Philippe Sollers, Jean-Daniel Pollet, MĂ©diterranĂ©e/Bassae, op. cit., p. 51. 14 Se reporter au livre de Georges Sebbag, Le Point sublime, Breton, Rimbaud, Kaplan, Paris, Jean-Michel Place, 1997. 15 Philippe Sollers, MĂ©diterranĂ©e », in Yannick Haenel, Dominique PaĂŻni, Philippe Sollers, Jean-Daniel Pollet, MĂ©diterranĂ©e/Bassae, op. cit., p. 51. 16 Jean-Daniel Pollet, MĂ©diterranĂ©e, quatre plans ou sĂ©quences Ă â ; Ă â ; Ă â ; et Ă â 17 Yannick Haenel, Ăclair de MĂ©diterranĂ©e », in Yannick Haenel, Dominique PaĂŻni, Philippe Sollers, Jean-Daniel Pollet, MĂ©diterranĂ©e/Bassae, op. cit., p. 12. 18 Philippe Sollers, MĂ©diterranĂ©e », in Yannick Haenel, Dominique PaĂŻni, Philippe Sollers, Jean-Daniel Pollet, MĂ©diterranĂ©e/Bassae, op. cit., p. 53. 19 Philippe Sollers, MĂ©diterranĂ©e », ibid., p. 52. 20 Albert Camus, Retour Ă Tipasa », in Noces suivi de LâĂtĂ©, Paris, Gallimard, Folio », n° 16, 2013 [1959], p. 160. 21 Ibid., p. 162 Dans cette lumiĂšre et ce silence, des annĂ©es de fureur et de nuit fondaient lentement ». 22 Ibid., p. 161 [...] toujours le mĂȘme ciel au long des annĂ©es, intarissable de force et de lumiĂšre, insatiable lui-mĂȘme, dĂ©vorant une Ă une, des mois durant, les victimes offertes en croix sur la plage, Ă lâheure funĂšbre de midi ». 23 Ibid., p. 161 [...] la mĂȘme mer aussi, presque impalpable dans le matin [...] ». 24 Ibid., p. 161 [...] le Chenoua, cette lourde et solide montagne, dĂ©coupĂ©e dans un seul bloc, qui longe la baie de Tipasa Ă lâouest, avant de descendre elle-mĂȘme dans la mer. On lâaperçoit de loin, bien avant dâarriver, vapeur bleue et lĂ©gĂšre qui se confond encore avec le ciel. Mais elle se condense peu Ă peu, Ă mesure quâon avance vers elle, jusquâĂ prendre la couleur des eaux qui lâentourent, grande vague immobile dont le prodigieux Ă©lan aurait Ă©tĂ© brutalement figĂ© au-dessus de la mer calmĂ©e dâun seul coup ». 25 Ibid., p. 162. 26 Ibid., pp. 161-162. 27 Ibid., p. 163. 28 Ibid., pp. 163-164. 29 Ibid., p. 164. 30 Ibid., pp. 162-163. 31 Albert Camus, Noces Ă Tipasa », in Noces suivi de LâĂtĂ©, op. cit. , p. 11. 32 Ibid., p. 12. 33 Ibid., p. 11 Nous entrons dans un monde jaune et bleu oĂč nous accueille le soupir odorant et Ăącre de la terre dâĂ©tĂ© en AlgĂ©rie ». 34 Ibid., p. 12. 35 Pendant la rĂ©daction de cette contribution, jâai associĂ© ces lignes aux sĂ©quences de MĂ©diterranĂ©e Ă©voquĂ©es Ă la note 12. 36 Albert Camus, Noces Ă Tipasa », in Noces suivi de LâĂtĂ©, op. cit., p. 13. 37 Ibid., p. 13. 38 Ibid., p. 13. 39 Jean PĂ©lĂ©gri, Les Oliviers de la justice in Les Oliviers de la justice & Le Maboul, op. cit., p. 95. Ă propos dâune vieille cousine percluse de prĂ©jugĂ©s contre les AlgĂ©riens, le narrateur Ă©nonce ceci, qui me semble correspondre Ă un trait culturel [...] il y avait dans sa façon de parler, en mĂȘme temps quâune assurance algĂ©rienne, une certaine aisance mondaine, mĂȘlĂ©e de vanitĂ© ». 40 Albert Camus, Noces Ă Tipasa », in Noces suivi de LâĂtĂ©, op. cit., p. 15 Bien pauvres sont ceux qui ont besoin de mythes ». 41 Ibid., p. 15 Ici les dieux servent de lits ou de repĂšres dans la course des journĂ©es. [...] Et quâai-je besoin de parler de Dionysos pour dire que jâaime Ă©craser les boules de lentisques sous mon nez ? Est-il mĂȘme Ă DĂ©mĂ©ter ce vieil hymne Ă quoi plus tard je songerai sans contrainte âHeureux celui des vivants sur la terre qui a vu ces chosesâ ». 42 Ibid., p. 15. 43 Ibid., p. 16. 44 Ibid., p. 16. 45 Jâai en tĂȘte la note de lâĂ©diteur » qui accompagne Noces RĂ©imprimĂ©s aujourdâhui, ces premiers essais ont Ă©tĂ© Ă©crits en 1936 et 1937, puis Ă©ditĂ©s Ă petit nombre dâexemplaires en 1938, Ă Alger. Cette nouvelle Ă©dition les reproduit sans modifications, bien que leur auteur nâait pas cessĂ© de les considĂ©rer comme des essais, au sens exact et limitĂ© du terme », ibid., p. 8. 46 On peut se reporter Ă la scĂšne oĂč Marie Cardona et Meursault nagent dans la passe du port Albert Camus, LâĂtranger, Paris, Gallimard, Folio », n° 2, 1990 [1942], pp. 33-35. Et Ă celle, plus courte, oĂč ils sont Ă la plage, pp. 57-58. 47 Se reporter Ă Yannick Haenel, Ăclair de MĂ©diterranĂ©e », op. cit., pp. 12-13 VoilĂ , je regarde MĂ©diterranĂ©e comme un amoureux. Jâattends Ă chaque fois lâarrivĂ©e de la fille au miroir, je dĂ©sire sa blouse, ses boutons, ses sourcils, ses doigts. Une fille devient sous nos yeux une dĂ©esse parce quâelle est follement heureuse. Le bonheur se jette sur nous avec la violence dâun dĂ©sir rĂ©ussi. Cette femme jaillit depuis le sourire de la prĂ©sence elle-mĂȘme. Le radieux est là ». 48 Jean PĂ©lĂ©gri, Les Oliviers de la justice in Les Oliviers de la justice & Le Maboul, op. cit., p. 205. 49 Ibid., p. 205 Dans ce mĂȘme groupe, un jeune Arabe dâune quinzaine dâannĂ©es, plus noir que les autres et toujours en mouvement, avait trouvĂ© sur la jetĂ©e une Ă©toile de mer sĂ©chĂ©e. Dans une brusque inspiration, il la plaqua dâune main sur sa poitrine cambrĂ©e, leva lâautre bras, comme pour un salut olympique, et sâimmobilisant soudain dans cette attitude dresse de statue antique, il dit Ă lâadresse de ses camarades, Ă lâadresse du ciel et de la mer âVoilĂ , regardez !... Apollon et VĂ©nus !â. Je ne sais Ă quoi il pensait Ă cet instant, mais lâattitude et les paroles Ă©taient si parfaitement accordĂ©es que, comment dire ?... Quâil y avait, dans ce geste et ces paroles spontanĂ©es, comme lâhĂ©ritage dâune longue culture. MĂȘme un jeune Grec nâaurait pu inventer mieux, ni plus juste ». 50 Jean PĂ©lĂ©gri, Le Maboul, in Les Oliviers de la justice & Le Maboul, op. cit., p. 424. 51 On peut se reporter Ă ces brĂšves remarques de PĂ©lĂ©gri Ă propos de Camus Jean PĂ©lĂ©gri Ă propos de la vision de lâAlgĂ©rie de Camus », 1974, [en ligne], URL [consultĂ© le 5 mars 2021]. 52 Jean PĂ©lĂ©gri, Les Oliviers de la justice, in Les Oliviers de la justice & Le Maboul, op. cit., p. 182 Non, jamais nulle part ailleurs, je nâai connu ce bonheur si chaud, si profond, dâavoir des frĂšres ». 53 Jâemprunte ce mot Ă Patrick Chamoiseau. 54 Albert Camus, Noces Ă Tipasa », in Noces suivi de LâĂtĂ©, op. cit., p. 21. Haut de page Pour citer cet article RĂ©fĂ©rence papier Jean-Michel DevĂ©sa, La MĂ©diterranĂ©e, la mer en allĂ©e avec le soleil ? », Babel, 43 -1, 81-99. RĂ©fĂ©rence Ă©lectronique Jean-Michel DevĂ©sa, La MĂ©diterranĂ©e, la mer en allĂ©e avec le soleil ? », Babel [En ligne], 43 2021, mis en ligne le 01 dĂ©cembre 2021, consultĂ© le 19 aoĂ»t 2022. URL ; DOI de page